J’sais pas pourquoi 
Ce piano-là 
Ne joue qu’en mineur. 
Ce meuble noir 
A dû en voir 
De toutes les couleurs. 
En espérant faire fortune pour lui, 
J’ai dépensé toutes mes tunes. 
C’était une erreur. 
Moi j’avais l’âme d’un fantaisiste 
Mais pas lui, 
Non, pas lui. 
Il a des cordes trop sensibles à nos douleurs, 
Pourrait passer sa vie 
A en dresser la liste. 
Vous comprenez pourquoi 
Ce blues très lent, 
Ce blues très triste, 
Il vient du piano 
Pas du pianiste. 
C’est moi l’instrument. 
C’est lui l’artiste. 
Pauvre piano. 
Pauvre pianiste. 
Mais l’pire de tout, 
- Ça, ça m’rend fou - 
C’est sa pudeur. 
Une tour d’ivoire 
Dans sa mémoire 
Cache sa douleur. 
D’où lui vient cette amertume? 
Qui le sait, la cause de son infortune, 
Est-ce une peine de cœur? 
Aucun signe visible, aucune piste 
Qui permettrait, qui permettrait 
De débusquer l’origine de tous ses malheurs 
Et l’aider à sortir d’une mélancolie qui persiste, 
Qu’on puisse faire autre chose 
Que ce blues très lent, 
Ce blues très triste 
Qui vient du piano, 
Pas du pianiste. 
C’est moi l’instrument, 
Lui le soliste. 
Pauvre piano, 
Pauvre pianiste. 
Je suis en toi. 
Prête-moi ta voix, 
Pauvre chanteur. 
Tu veux savoir 
Pourquoi, le soir, 
Je n’joue qu’en mineur? 
Y a longtemps, un soir de brume, 
Furent écrits ces fameux rêves d’amour nocturnes 
Par mon possesseur. 
Moi, j’avais l’âme d’un fantaisiste 
Mais pas lui, 
Non, pas lui. 
Voilà pourquoi je suis sensible à vos douleurs. 
Je n’pouvais pas savoir qu’il gardait 
En lui l’âme de Liszt. 
Je comprends maint’nant 
Ce blues très lent, 
Ce blues très triste : 
Il vient du piano, 
Pas du pianiste. 
C’est moi qui chante, bien-sûr, 
Mais c’est lui l’artiste. 
Pauvre piano, 
Pauvre pianiste. 
C’est moi qui chante, bien-sûr, 
Mais c’est lui l’artiste. 
Pauvre piano, et, j’insiste, 
Pauvre pianiste.